jeudi 3 décembre 2009

Tukina kwa bantu (par Diyabanza)

TUKINA KWA BA NTU

La rétrospective de notre passé nous renseigne que la déportation, la colonisation, l’esclavage,
l’immigration sont les causes de l’éparpillement de tous le peuple autour des quatre pilliers du
monde !
Reconnaissant premièrement que les liens du sang étant insurmontables, et deuxièmement que la souffrance, l’humiliation, l’exclusion, la torture, la négation et les insultes sont des fléaux partagés par tous les Ba Ntu où qu’ils soient, et sachant que notre avenir et notre sort est lié en tant que créatures semblables sorties de notre Mère Aïeule la Guinée et de notre MaMa l’Afrika !
Rappelant aussi que notre séparation a été involontaire et que nos pays actuels ne sont nullement le fruit de nos entrailles et de notre propre réflexion !
Reconnaissant également le caractère inébranlable, la grandeur et le vécu multimillénaire de notre patrimoine culturel, identitaire et traditionnel : BUMUNTU qui régit l’organisation de notre quotidien, nos maisons, familles, partagent une source commune, Nous Crions que l’attachement au cordon ombilical ainsi que la descendance matrilinéaire est sacré : BUNGUDI VA KWA NTALU !
Nous les Ba Ntu, nous sommes comme une tresse impossible à desserrer, comme un fil qui vibre
quand on tire, au bord de l’eau on peut nous agiter, nous courber, mais nous briser JAMAIS !
Nous décidons :
Toute créature ayant l’Esprit, l’Ame, le Corps, le Nom, la Famille, la Langue et l’Identité est
MUNTU ou MUN !
Tout MUNTU a l’autorisation de partager toute connaissance et savoir-faire émanant de son
Esprit, Ame, Nom, Famille, Langue et de son Identité !
Tout MUNTU est tenu d’éclairer toute la création : il a le fardeau de veiller sur l’Esprit, l’Ame,
le Corps, le Nom, la Langue et sur son Identité ainsi que celle de sa Famille !
Tout MUNTU est autorisé de se rassembler avec ses Frères, Soeurs, Amis, Parents, Familles,
Clans quand il le souhaite !
Il est aussi autorisé à changer de Famille, Nation, Empire, Etat, Pays quand les conditions de sa
stabilité, protection et de son avenir est menacée !
Tout MUNTU est autorisé de solliciter, consulter toutes les Archives secrètes ou pas, connues
ou non connues, et d’user de tous les moyens possibles pour connaitre son passé, celle de sa famille, et du lieu ou l’endroit où il réside présentement ou qu’il compte habiter dans le futur ! Nul ne peut etre privé de consulter une Archive, un Document au nom de quelque prétexte que ce soit !
La langue institutionnelle est celle qui régit le quotidien de chaque MUNTU, aucun MUNTU ne
peut etre obligé ou amené à parler ou à s’exprimer dans une langue qui n’est pas la sienne, quelles qu’en soient les raisons !
Toute Institution devra avoir en son sein la possibilité de communiquer dans toutes les langues qui régissent le quotidien du MUNTU !
Le KIMUNTU est notre Identité : la personnification, la Pratique des Idées ou Pensées, Paroles,
et Actes émanant de sa fine et propre Intelligence ainsi que celle héritée de ses Ancêtres et de ses Parents ou encore inspirée par la création !
Tout MUNTU a pour vocation d’etre le gardien de sa culture, tout ce qui régit les moeurs,
habitudes, comportements, rassemblements, manifestations pendant la Vie, la Naissance, et la Mort dans sa société !
Nul ne peut cracher sur son patrimoine ou la détruire sous prétexte de développement ou
d’archaïsme !
La vie est sacrée, tout MUNTU doit veiller à la Vie de tous et assister tout ce qui vit!
Nul ne peut ôter la vie aux autres vivants : bébés, animaux, MUNTU, ou toute autre Créature
quelles qu’en soient les raisons !
Le MUNTU étant la seule créature jouissant de facultés exceptionnelles à la différence de toute
autre créature et dont la communication est comprise par tous, se doit de parler, penser, agir pour protéger, défendre tout son patrimoine, ainsi que tout ce qui vit !
Aucun MUNTU ne peut et ne doit etre privé ou se voir retirer la Parole !
La Parole est un acquis sacré que le MUNTU a mérité depuis le premier cri au jour de sa naissance par sa force et nul ne peut la lui retirée si ce n’est la mort elle-même qui l’emporte !
Toute créature qui se réclame MUNTU doit être considérée ainsi par le simple fait qu’elle s’en
réclame !
Aucune créature ne peut être privée de connaissance et du savoir, tout MUNTU qui en
demande doit le recevoir sans aucune forme de procès !
La connaissance et le savoir-faire se dispensent gratuitement et contre rien en retour !
Le MUNTU étant la seule créature jouissant des facultés visibles, des dons invisibles et de capacités mystérieuses est tenu d’éclairer la voie de toutes les créatures qui lui en demandent, d’assister tous ceux qui s’égarent et de clarifier tout ce qu’il fait !
Toute créature qui se réclame MUNTU et dont la Famille, le Clan, la Descendance a été déportée, éparpillée a l’autorisation d’entreprendre toute forme de démarche pour retrouver les Siens et reconstituer sa Famille, son Clan ainsi que sa Descendance !
Il bénéficie cependant de l’autorisation de retourner sur le lieu de ses origines lointaines et d’y
vivre !
Toute créature se réclamant MUNTU est autorisée de bâtir, construire toute oeuvre qui lui
est inspirée !
Il a l’autorisation d’utiliser toute représentation, image, oeuvre qui émane de sa Culture, Tradition, Identité, Famille, Nation, Etat, Pays, Empire, Royaume !
Il est aussi évident que tout MUNTU dont la Descendance, la Lignée et la Famille a été déportée ou massacrée pendant des siècles et millénaires précédents peut retourner bâtir, s’installer et construire sur la terre de ses origines !
Toute créature qui se réclame MUNTU est autorisée de s’exprimer dans toute langue de son
choix, à tout moment quand il le veut et où que ce soit !
Il peut également se déplacer par tous les moyens de déplacement visibles, invisibles et mystérieux si et seulement si ces moyens de déplacement ne causent la perte d’aucune vie ou l’atteinte à la personne ou aux biens de l’autre !
Tout MUNTU peut exercer librement sa connaissance, il peut utiliser son mystère pour
éclairer, aider, éveiller, assister, défendre et protéger les siens !
Nul ne peut utiliser le MANGANGA ou la MAGIE pour diviser, tuer, torturer, faire souffrir, violer, diminuer, voler ou vendre ce qu’il y a ou appartient à l’autre !
Le MANGANGA dans ce sens est autorisé !
Tout MUNTU peut, tenant compte de sa sagesse, son comportement, son intelligence et ses
capacités exercer toute forme d’autorité !
Nul ne peut accéder ou exercer une autorité pour des raisons de ses qualifications, sa famille, sa
richesse, ses relations et nul ne peut en être privé sous prétexte de manque de qualifications, de son appartenance clanique, familiale, nationale, tribale, ethnique ou raciale !
Tout MUNTU est autorisé si cela lui convient de mettre au monde le nombre des enfants
qui lui semblent bon, de donner la vie autant de fois qu’elle le désire !
Tout MUNTU qui aura le désir d’ôter la vie à l’autre, à un nouveau-né ou d’avorter, doit commencer d’abord par ôter sa propre vie !
En tant que MUNTU nous sommes appelés à veiller les uns sur les autres, à demander des
nouvelles des uns et des autres, à oeuvrer pour la Terre !
En tant que MUNTU nous sommes appelés à oeuvrer avec nos propres capacités et par notre
propre réflexion pour compléter la Création, ainsi que pour la continuité de la Vie !
Nul ne peut au nom de quelque raison que ce soit oeuvrer pour séparer le MUNTU et sa Terre ainsi que les créatures et la création. En tant que MUNTU nous sommes appelés à oeuvrer et veiller pour la bonne santé des unes et des autres et travailler pour la Terre !
Nul ne peut commercer ou commercialiser un produit sanitaire ou pharmaceutique, ni tout produit pouvant être dangereux même à risque zéro pour la santé de l’autre et pour tout élément de l’univers !
Comme aucune convention ne peut être gardien de la santé de l’autre !
Tout ce qui touche à la santé doit être et doit rester naturel selon l’ordre, la régulation et le
mécanisme de la création !
En tant que MUNTU nous sommes tenus à renseigner tout celui qui demande une voie pour
faire chemin, d’assister toute personne n’ayant plus la possibilité ou n’ayant pas encore les
capacités de faire chemin seul !
Toutes les créatures vivant sous un même toit, village, agglomération, ville, cité, forment
une communauté et sont considérés comme appartenant à un même clan !
Tout MUNTU doit s’attacher à sa famille : nul ne peut sous aucun prétexte déstabilisé, divisé,
détruire sa famille ou celle de l’autre !
En tant que MUNTU nous sommes tous rattachés et tenus par une tresse inséparable
qui constitue la racine de la stabilité de notre création qui se résume par LE RESPECT DE LA
PAROLE DONNEE, DU BIEN D’AUTRUI ainsi que DE L’ENGAGEMENT PRIS !
Tout MUNTU doit être l’expression des valeurs cardinales de concorde, de conciliation
émanant de sa Culture dans son quotidien, à savoir :
Le BUZITU c’est une institution ou une combinaison qui comprend quatre manches :
l’autorisation, le respect, l’obéissance et la permission !
Le BUBANDA NZENZA c’est une institution ou combinaison à quatre manches :
l’hospitalité, la simplicité, le courage, le sacrifice !
Le KINSUEKI c’est une institution ou combinaison à quatre manches :
la volonté, la discrétion, le silence et la culture du secret !
Le LUKWAMU c’est une institution ou une combinaison à quatre manches :
la patience, la persévérance, la constance et la ténacité !
Le KIYEKWA c’est une institution ou une combinaison à quatre manches :
l’écoute, l’autorité, le pouvoir, la puissance !
Le KILAU c’est une institution ou une combinaison à quatre manches :
la force, la vigueur, la grandeur, l’enfance !
SUKIKA c’est une institution ou une combinaison à quatre manches :
la vigilance, la clairvoyance, la préservance et la perception !
BUMUNTU est la voie par laquelle le MUNTU manifestera toutes ces
institutions qui sont ses comportements quotidiens dont les fruits lui permettront de veiller aux
autres et de se rassembler harmonieusement avec ses semblables !
L’expression et l’application du BUMUNTU se justifie par un comportement qui
se définit par la consécration a sa croissance Individuelle, et le partage équitable de la bénédiction collective à ceux qui travaillerons pour la Terre !
Mais aussi par La parole innocente de son propre Esprit, la Chanson et la réflexion pour son
élévation ainsi que l’existence par la suivit de sa propre intuition, la stabilité par le fruit des efforts de ses propres mains et la réussite par la détermination de ses propres pieds !
En tant que MUNTU nous sommes tenus à mettre notre nature intérieure au service de la
pérennité, la croissance et l’élévation de nos esprits, corps, de nos vies, celles de nos Terre, de notre création et pour la vie de toutes les créatures ! D’abandonner tout ce qui peut ruiner, détruire, enfermer nos vies et celles de nos Terres, nos Etats et nos Pays, nos Peuples et nos Nations, nos Empires et nos Royaumes selon le cycle de ces principes continuels et infinis dont le parcours est incalculable et la distance inconnue, dont la source est profonde et la destination incommensurable qui se résume en DOLA KIETO :
La Force et le silence La Guérison et la Connaissance
La Lumière et la Compréhension
La Transformation et la Pureté
La Volonté et l’Action
La Communication et l’effacement de soi
Le Travail et l’Accomplissement
La Compréhension et l’enthousiasme
Le Bien et la Vie
Nous sommes tous forger par cette Matière et Acte, assise de notre Création qui reflète la
Sagesse profonde de nos Ancêtres, l’Intelligence Divine et le Pouvoir de la Nature !
Tout MUNTU est responsable de ses fardeaux ! Nos avons tous la responsabilité de veiller à ce que l’élévation et la quiétude reviennent parmi nous, que la peur s’éloigne de nous et que la réussite nous accompagne dans le rassemblement perpétuel de tous les BA NTU KIA NZA :
UGANDA
GABON
TANZANIE
SOUDAN
RWANDA
ANGOLA
BURUNDI C
AMEROUN
REPUBLIQUE CENTR’AFRICAINE
GUINEE CONAKRY, BISSAU, EQUATORIALE
REPUBLIQUE DU CONGO
ZAMBIE
REPUBLIQUE DU CONGO-ZAIRE
ZIMBABWE
CUBA
DOMINIQUE
HAITI
GRENADE
REPUBLICA DOMINICANO
ST CHRISTOPHE ET NIEVE
JAMAIQUE S
AINTE- LUCIE
BARBADE
SAINT-VINCENT ET LES GRENADINES
LES BAHAMAS
ANTIGUA ET BARBUDA
TRINIDAD ET TOBAGO
BRESIL
AFRIKA ET AMERIKA

DOCTEUR EMERIT
KO’EMECHO
KAIBANZ KOOW AYIDA
REPHAEL TANGO LIMA

Toute reflexion ou réaction

dimanche 29 novembre 2009

Du blog de Patrice Eric Mampouya: Un conte Bantou

A la claire fontaine…

Un conte bantou vécu par un blanc

L’Afrique coloniale

Je venais d’arriver en terre africaine, c’était il y a près de 50 ans. Rescapé des Camps nazis, j’avais choisi d’être enseignant. En espérant apporter à mes élèves les moyens d’empêcher de revivre mon calvaire. Une longue carrière d’enseignant m’a permis de le réaliser.

À peine sorti de ce qui n’était alors qu’un modeste aérodrome, je n’ai guère eu le temps de chercher un taxi, deux européens se sont avancés vers moi pour m’accueillir, le sourire aux lèvres, c’étaient des compatriotes, qui m’ont dirigé vers leur voiture.

Un accueil auquel je ne m’attendais pas, ainsi, c’était donc cela, notre belle colonie ?

Un havre de paix et de compréhension, de sollicitude et de solidarité ?

Mais le désenchantement, brutal, ne tarda point. À peine installé dans une voiture américaine récente, j’ai eu droit à un conditionnement qui n’a jamais quitté ma mémoire.

Après un bref souhait de bienvenue, une série de recommandations sensées faciliter mon adaptation et m’éviter ainsi bien des erreurs accaparèrent tout le trajet en voiture.

D’emblée, leur tutoiement devait me faire comprendre qu’il s’agissait d’aider un compatriote à acquérir un comportement qui le mettrait à l’abri des dangers qui le guettaient.

Ne donne jamais la main à un noir, elles sont sales, remplies (sic) de microbes. Et quand tu prendras un boy (domestique), rappelle-toi qu’ils sont tous voleurs. Évite de leur donner à manger, tu les paies, ils doivent apprendre à se débrouiller.

Je ne me souviens plus du reste, l’essentiel m’avait déjà rendu malade. C’est alors que me revint en mémoire mon ordre de mission : vous serez chargé de créer une des 5 premières écoles professionnelles laïques de notre colonie (70 ans après le début de l’occupation du pays par les colonisateurs…)

Je n’avais de cesse de voir mon école, mais ce ne fut que le lendemain, un jour mémorable.

L’inspecteur de l’Enseignement professionnel m’avait emmené dans sa voiture. Les 15 Kms qui nous séparaient du village de N’DJILI m’ont paru bien longs. Nous étions arrivés, à perte de vue la brousse, plantée dans un environnement accidenté où l’on distinguait pourtant un plateau, celui du village de N’DJILI, de quelques de cases à peine,en me montrant un coin de brousse, l’inspecteur, avec un sourire de circonstance, m’annonça : mon cher directeur, voici votre école, je vous confie 4 hectares de brousse !

Et il avait ajouté, les plans de votre établissement ne sont pas encore terminés et les travaux ne commenceront sans doute pas avant l’année prochaine. Vous risquez d’avoir des vacances prolongées. Néanmoins, je reste à votre disposition pour vous préparer à vos nouvelles fonctions. Rendez-vous demain à notre Direction Provinciale de l’Enseignement.

C’est ainsi que débuta ma carrière africaine et ce conte, où le souvenir des Camps fut omniprésent.

Vêtus de haillons, certains tenaillés par la faim, mais surtout méprisés par les blancs,

sans le moindre respect pour leur dignité, j’avais retrouvé dans ces africains : L’UNTERMENSCH (le sous-homme) que j’avais été dans les Camps nazis !

Dès ce moment, je n’ai eu de cesse de les aimer….Ce conte est leur histoire.

Une Ecole hors du commun.

La première année scolaire de l’Ecole professionnelle de N’DJILI venait de s’achever. Et déjà se profilait la rentrée prochaine et la création des nouvelles sections.

Pour les 72 places prévues lors de sa création nous avions enregistré plus de 1500 candidats ! Certes, j’avais obtenu la création de trois nouvelles sections pour les garçons : mécanique générale, électricité et cordonnerie maroquinerie.

Après bien des difficultés, une classe de coupe et couture réservée aux jeunes filles devait voir le jour à la rentrée de septembre 1956.

La décision avait été prise à la suite de mes visites aux parents d’élèves et du désintérêt de l’administration coloniale pour une éducation des filles comparables à celles des garçons.

Cette initiative allait me réserver bien des surprises. Et une hostilité croissante de la part, non seulement des adversaires de l’Ecole Publique, mais également des milieux cléricaux.

Dés la rentrée, les élèves de l’Ecole primaire de la Mission catholique qui jouxtait notre établissement, pour la plupart de très jeunes enfants, avaient jetés des pierres sur nos classes et cassés quelques carreaux, en criant l’Ecole du diable ! !

Si les effectifs des sections de garçons furent très vite atteints, les 30 élèves de la section fille furent plus laborieux à inscrire.

Plus tard, ces élèves m’avouèrent en avoir été dissuadés par la Mission, mais aussi par la peur de ne pas être capable de suivre les cours, tout était si nouveau pour elles.

Je ne devais pas tarder à m’apercevoir de l’indifférence encore plus profonde à laquelle avait été soumise la femme africaine par le colonisateur.

Dès le premier jour de la rentrée, mon professeur de cours généraux, une femme remarquable, excellente enseignante, passionnée par son métier, était venue me trouver, au bord des larmes.

Monsieur le Directeur, je ne sais plus quoi faire ! Mes élèves ne s’intéressent à rien, j’ai beau changer de sujet, leur proposer une promenade pour une leçon de choses, rien n’y fait, je suis désespérée.

L’après-midi fut certainement la plus rude de toute ma carrière, et pour elle aussi. J’avais créé cette section dans l’hostilité générale et mon échec était attendu. Fort heureusement, leur comportement était à l’inverse de celui des européens, point de chahut, un calme placide, indifférent, sans la moindre hostilité.

Il y avait dans leurs yeux un fatalisme qui trahissait la lourde hérédité qui pèse encore aujourd’hui sur les femmes africaines.

Ces yeux semblaient dire : pourquoi essayez-vous de nous enseigner tout cela, vous savez bien que nous n’en sommes pas capables, que notre place est au foyer, rien qu’au foyer.

Ainsi se profilait ce que j’avais déjà découvert chez mes garçons, ce complexe d’infériorité vis-à-vis du blanc, véritable frein à un enseignement digne de ce nom.

En favorisant la pratique de disciplines sportives telles que l’athlétisme et les sports d’équipe, où je savais que mes jeunes africains allaient exceller, le but principal que je poursuivais était pédagogique.

Leur permettre de s’affirmer, de réussir dans ce genre d’activités, était la meilleure façon de leur donner confiance en eux, élément essentiel de leur cheminement vers la connaissance.

Ainsi ce fut un modeste adjudant européen de la Force Publique du Congo belge, passionné par qui, en assurant bénévolement le soir, les entraînements de mes élèves avaient permis leur réussite scolaire !
C’était un militaire, et il ne s’est sans doute jamais rendu compte que son action préfigurait

Ce que chacun espère pour les armées de demain : des soldats de la Paix.

J’en profite pour rendre hommage à tous ces blancs qui, dans un contexte peu favorable à de tels sentiments, ont su respecter la dignité de l’homme, et apporter aux noirs (1), ce qui a tant manqué à l’Afrique, un peu d’amour, dans la plus profonde acception du terme.

Ils furent si peu nombreux, qu’ils n’ont jamais pu provoquer la moindre prise de conscience auprès de ceux qui étaient, soit foncièrement racistes ou, pour le plus grand nombre, simplement indifférent, mais une indifférence coupable…Ce qui a évoqué pour moi la situation que j’avais connue pendant la guerre 1939-1945 dans mon pays occupé par les nazis !

A cette époque aussi, il y eu un petit nombre de collaborateurs foncièrement nazis, un nombre sensiblement identique de résistants, et enfin le reste, indifférents, à des niveaux divers, qui évoluaient d’ailleurs dans le temps, en fonction des victoires de l’un ou l’autre camp !

Quelques jours plus tard, la situation de la classe des filles n’avait guère changé. Et ce fut notre entraîneur sportif bénévole qui nous a apporté la solution.

Il était arrivé, à la fin des cours, et assistait à la sortie des élèves. Avisant les jeunes filles de la section de coupe et couture, il m’avait dit : quelle musculature, ce sont des sportives nées !

Sur le moment, je ne su que répondre, si ce n’est : cela me semble normal, n’oublies pas que les femmes africaines ont toujours accompli les tâches les plus rudes.

Il s’était étonné de leur port altier, la nuque bien droite et j’avais ajouté : ce sont les femmes qui portent le bois sur la tête, voire l’eau et toutes les charges lourdes. Sans oublier qu’elles ont souvent, en plus, un enfant accroché dans le dos et un à la main. Et j’avais ajouté, afin d’être bien compris : et qui sait, parfois encore un dans le ventre…

Ce fut le déclic, l’inspiration, la solution toute simple devant nos yeux. Pourquoi ne pas les sortir de leur complexe d’infériorité, en leur proposant des activités sportives, comme pour les garçons ?

Sans se décourager, leur professeur avait déjà sauvé la section en se consacrant uniquement, avec sa collègue de travaux pratiques, à la confection de leur uniforme qui, loin d’être celui d’un pensionnat, était confectionné dans du coton pour pagne, aux couleurs chatoyantes de l’Afrique.

Elles s’y étaient mises avec ardeur et c’est avec le même état d’esprit qu’elles réalisèrent leur tenue de sport, un short et une chemisette qui leur allaient à merveille.

Leur premier entraînement m’est resté en mémoire, Elles avaient utilisé leur classe comme vestiaire pour revêtir leur tenue de sport. Le temps qu’elles mettaient à sortir me paraissant anormalement long, j’avais envoyé leur professeur les chercher.

Elle m’annonça que les élèves n’osaient pas sortir dans cette tenue ! Et il fallut encore lutter contre cette éducation rétrograde, afin de leur donner le Courage d’affronter cette nouvelle épreuve.

La suite ressemble à un conte de fées.

Leurs résultats sportifs, leur engouement, mais surtout leur décision de s’attaquer à la compréhension des cours généraux, sont autant de faits qui ont façonné l’admiration que je n’ai cessé de porter ainsi que mon épouse aux femmes africaines et ce conte leur est dédié.

La pratique de la citoyenneté par l’exercice direct de la démocratie à l’école fut étendue à toutes les classes, elle avait donné aux élèves le sentiment qu’ils étaient capables comme les blancs de leur âge, de s’intéresser à toutes les activités qui développeraient leur personnalité, pour autant qu’on leur en donne les moyens….

Je voulais que mes élèves africains soient mis sur un pied d’égalité avec les Européens. La réponse à ce besoin fut la création de nombreuses activités parascolaires. Notamment, une équipe de fouilles archéologiques, une troupe théâtrale, une équipe de pétanque et surtout un ciné-club, qui est au centre de ce conte et a mis en valeur l’intelligence du cœur africaine !

Le premier film qui fut l’objet d’une introduction et d’un débat au Ciné-Club de l’Ecole futL’ECOLE BUISSONIERE de Jean-Paul Le Chanois, sorti en 1949, salué par la critique.

Ce film retraçait la vie de Célestin FREINET, un pédagogue français, créateur des techniques qui portent son nom et de diverses initiatives pédagogiques dont les coopératives scolaires, les échange interscolaires, les bibliothèques de travail et l’imprimerie à l’Ecole entre autres.

Le rappel de sa vie qui a servi de scénario au film m’avait touché, notamment par la similitude de nos situations, lui aussi avait souffert de la guerre et de l’incompréhension. Le film était accompagné d’une courte introduction : "en 1920, dans un village de Provence, un jeune enseignant débarque avec ses méthodes modernes et une volonté sans faille. Les élèves sont conquis, mais les parents et notables ne partagent pas du tout cet avis. Une lumineuse histoire d’amitié menée par Bernard BLIER, un beau moment de cinéma".

Ces quelques mots m’avaient frappés, car mes initiatives, fort semblables aux siennes m’avaient attiré déjà bien des ennuis !

Mais le film avait reçu un accueil enthousiaste des élèves, plus particulièrement des filles. Dans ce film, l’histoire mettait en scène, une classe de garçons, celle de FREINET et une classe de filles où l’éducation de l’époque faisait apparaître son caractère rétrograde.

Et ma classe de Coupe et Couture ne s’y était pas trompée. La fin du film avait été particulièrement applaudie et cette scène mérite d’être contée. FREINET, après avoir lutté pour défendre sa pédagogie et malgré la réussite de tous ses élèves au certificat d’études avait été suspendu de ses fonctions et fait

l’objet d’une mutation.

Les dernières images du film m’avaient troublé et ému. C’était ma propre histoire que je revoyais sur l’écran ! FREINET, interprété magistralement par Bernard BLIER qui venait d’être muté, malgré la réussite de tous ses élèves au certificat d’études, était allé dire au revoir à ses élèves.

Comme je fus forcé de le faire en 1959, quatre ans après le début de ma réussite !

Les élèves avaient entouré FREINET et s’étaient mis à chanter :

A la claire fontaine.

Il y a longtemps que je t’aime.

Jamais je ne t’oublierais !

Ainsi, ces enfants avaient compris tout ce que leur instituteur leur avait apporté, sa générosité et n’ayons pas peur des mots, son amour. Ce jour là, mes enfants noirs, avaient compris que l’histoire se répétait en terre d’Afrique.

Ils étaient sortis de la salle, émus et révoltés, stupéfaits que des blancs puissent agir ainsi envers d’autres blancs !

Nous étions en 1956, et le temps passa, jusqu’à cette journée du printemps 1959 ou j’avais reçu, commeFREINET, l’ordre de suspension de mes fonctions !

A plein traitement, c'est-à-dire que rien ne pouvait m’être reproché sur le plan pédagogique, j’étais coté « Elite » par l’inspection de l’administration coloniale !

Mais je ne respectais pas l’éthique d’un fonctionnaire colonial. Il a donc fallu, la mort dans l’âme, me rendre dans cette école surgie en quelques mois de la brousse, qui m’avait apporté tant de bonheur et m’avait permis de comprendre ces enfants

Il a donc fallu, la mort dans l’âme, me rendre dans cette école surgie en quelques mois de la brousse, qui m’avait apporté tant de bonheur et m’avait permis de comprendre ces enfants d’Afrique, qui allaient me donner, à leur tour, des raisons de vivre et d’espérer.

Les lignes qui vont suivre sont peut-être la condamnation la plus indiscutable du colonialisme.

Je venais de terminer mes adieux aux classes de garçons.

Je n’oublierais jamais la tristesse de leurs visages, la plupart avaient les larmes aux yeux.

Et je savais que les africains pleuraient rarement, ils cachaient le plus souvent leur peine.

Enfin, je suis arrivé chez mes filles, très ému.

La veille, elles avaient reçu la visite de l’inspecteur, venu les exhorter à poursuivre leurs études comme s’il ne s’était rien passé. Pour la circonstance, elles avaient abandonné leurs uniformes seyants, fruit de leur travail.

Elles étaient toutes, de noir vêtues.

L’inspecteur s’en était inquiété et s’était vu répondre : aujourd’hui, nous sommes en deuil, nous avons perdu notre directeur que nous aimons comme un père.

Je suis entré en classe, elles se sont levées et ont chanté :

A la claire fontaine,

il y a longtemps que je t’aime.

Jamais je ne t’oublierais.

C’est alors que je me suis effondré, envahi, a la fois par la tristesse de l’injustice qui m’était infligée, mais aussi par le bonheur et la fierté d’avoir fait confiance à ces filles d’Afrique capables de tant de compréhension et d’amour.

Epilogue

Nous sommes en 1961, après bien des efforts infructueux, mon ami bantou, Pierre MOMBELE, Chef héréditaire de la tribu des Batékés, devenu Ministre des Travaux Publics du premier gouvernement congolais indépendant, était venu me chercher à Bruxelles.

Il avait obtenu du Ministre belge des Affaires Africaines de repartir avec moi dans son pays, en qualité de conseiller et secrétaire particulier !

A peine arrivé, mon premier soin fut de me diriger vers N’DJILI.

A quelques kilomètres de ce qui était devenu une très grande agglomération, je suis doublé par une voiture qui s’était rabattue et arrêtée sur le bas-côté de la route.

Je n’ai eu que le temps de freiner, et de voir sortir deux jeunes femmes, les bras en l’air, totalement exubérantes !

Elles se sont dirigées vers moi, les yeux emplis de larmes, de bonheur cette fois. Je venais de retrouver mes enfants noirs ( 1 ).

Elles m’ont appris alors, qu’elles avaient créé un petit commerce de couture qui marchait bien et qui leur avait permis de s’acheter une voiture !

Six années à peine nous séparaient de ces 4 hectares de brousse et du pari insensé que j’avais réussi, en appliquant simplement la devise de l’Ecole Professionnelle de N’DJILI, On ne voit bien qu’avec le cœur !

Il est vrai également, que j’avais placé dans mon bureau, bien en vue, cet aphorisme de Romain ROLLAND, qui a toujours guidé ma vie et qui, encore aujourd’hui, pourrait inspirer les relations entre l’AFRIQUE et l’EUROPE voire les peuples d’Europe eux-mêmes !

Car il n’est jamais trop tard pour bien faire :

Frères rapprochons-nous, oublions ce qui nous sépare.

Le seul bonheur durable est de se comprendre mutuellement pour s’aimer.

INTELLIGENCE – AMOUR.

François SPIRLET, Mutéké de cœur et d’esprit, dit ASALA KALA et ALEMBA KA TE, par mes amis BATEKE

( 1 ) NOIR est utilisé à dessein, c’était le terme le moins péjoratif utilisé par les blancs !

Une certitude née dans les Camps : l’Amour sera toujours plus fort que la haine !

Coordonnées et brève biographie à toutes fins utiles pour transmettre vos réactions, observations voire critiques auxquelles je répondrai volontiers.

François SPIRLET

60 Boulevard DEGANNE

F 33120 Arcachon

FRANCE

Tél. : 05 56 54 81 67 et 0033 5 56 54 81 67 Courriel : fspirlet@free.fr

Déporté de la Résistance belge (02.03.1943 – 05.05.1945)

Président de l’Association du Devoir de Mémoires

Ancien Professeur à l ’Institut des Arts et Métiers de la Ville de BRUXELLES (1947-55)

Directeur fondateur de l’Ecole Professionnelle de Métiers de N’DJILI au Congo belge 1955-59

Directeur du Service de la Jeunesse et des Sports du KIVU et RUANDA – URUNDI 1959-60

Conseiller et Secrétaire personnel du Ministre Pierre MOMBELE (Gouvernement KAMITATU)

Expert de l’UNESCO en Afrique Centrale et des Grands Lacs (1963-66)

Intervenant dans le cadre de la loi DELORS sur la Formation continue en milieu ouvrier.

A sa retraite en 1987 et jusqu’à ce jour, intervenant en milieu scolaire dans le cadre

du cours d’Histoire de la Seconde Guerre Mondiale et pour une Europe des Peuples par l’expérience de la Résistance et des Camps.

Chevalier de l’Ordre du Mérite de la R.F.A pour son action du renforcement de l’amitié Franco-allemande parle biais de nos jeunesses respectives.

Source : Bloc de Patrick Eric Mampouya