dimanche 6 septembre 2009

Funéraille du père Matota, homélie de l'abbé Ngimbi N'seka

PETITE HOMÉLIE À LA MESSE DES FUNÉRAILLES DU P. MATOTA

LE MERCREDI SOIR, 2 SEPTEMBRE 2009 (messe de 20h00)

« La force de la Sagesse »

Quand j’ai demandé à la personne qui est venu me contacter pour le service que je vais vous rendre à l’instant pourquoi il me le demandait à moi pas à un autre, il m’a répondu simplement que parce que j’étais parmi les aînés qui pouvaient témoigner du Père Matota. (Je vois que mes cheveux blancs commencent à m’accuser). Je lui ai répliqué que je n’avais jamais vécu avec le Père Matota et que donc je ne le connaissais pas mieux que certains plus jeunes que moi. Mais, ai-je poursuivi, comme il ne s’agit pas d’une oraison funèbre, je rendrais volontiers le service, si on me remettait les textes de lecture de la messe. Cinq minutes plus tard, j’ai reçu les textes demandés. Vous venez de les entendre : Sagesse 2, 1-4.22-23 et Mt 25,31-46.

Comme vous allez le remarquer, mon témoignage va partir du texte du livre de la Sagesse. Mais ce n’est pas tellement le petit texte qu’on vient de lire que le livre tout entier qui retient mon attention. Si l’on ne doit pas retenir Salomon, le plus grand sage d’Israël, comme auteur du livre, il n’y a pas de doute que son auteur est un juif, « ni un philosophe, ni un théologien », nous disent les commentateurs, mais un sage d’Israël exhortant à la recherche de la sagesse qui vient de Dieu, qui s’obtient par la prière, qui est source des vertus et qui procure tous les biens ».

Ces derniers temps, à la vue de certaines turbulences, de certaines agitations, de certaines machinations de gens, très intelligents ou considérés tels, mais ambitieux, assoiffés de pouvoir et d’avoir et capables d’intrigues et de coups bas, il m’est arrivé à plus d’une occasion de dire : « l’intelligence peut être diabolique, mais la sagesse est toujours divine ». Le livre de la sagesse me confirme dans cette intuition, quant à l’attribution de la sagesse à Dieu, puisque, d’après l’enseignement qu’il nous donne, la Sagesse a tout réglé déjà lors de la création et elle conduit les événements de l’histoire. C’est par sa Sagesse que Dieu gouverne le monde.

Que, d’autre part, l’intelligence puisse être diabolique, j’en voudrais pour preuve ce personnage biblique qu’on appelle Lucifer, la créature la plus intelligente entre toutes, le Malin qui a utilisé son intelligence pour tromper, pour entraîner l’homme loin de Dieu. Mais la preuve personnelle, c’est ceux que je viens d’évoquer, qui m’ont inspiré ma formule et il y en a tant d’autres aujourd’hui, dans notre société, qui emploient leur intelligence au service du mal. Ce sont des sorciers qui ne disent pas leur nom. Malheureusement on les rencontre parmi ceux de ma tribu sacerdotale, de ma race des philosophes et des théologiens, des professeurs d’université, des gens de haute culture scientifique, intellectuelle….Fils des ténèbres, plus malins, plus rusés que les fils de lumière, ils cherchent à agrandir leur empire. À l’université (pour ne parler que de ce lieu censé cultiver les facultés intellectuelles), ils intoxiquent les jeunes gens, les entraînant dans des mouvements spirituels secrets (pour ne pas parler de sociétés secrètes), où ils leur promettent d’acquérir des savoirs qui leur donneront le pouvoir sur les autres, le bien-être, le bonheur… Et menteurs qu’ils sont (comme le malin génie qui est un dieu trompeur), ils cherchent à convaincre leurs étudiants que, s’ils sont devenus ce qu’ils sont, des docteurs en leurs disciplines, c’est grâce à l’initiation secrète qu’ils auraient eue auprès des maîtres… La nouvelle se répand si vite à la cité que ceux qui sont performants dans un domaine sont soupçonnés d’avoir pactisé quelque part avec des maîtres inconnus… et que chacun, induit en erreur de cette façon, cherche à tenter sa chance de ce côté-là.

Ne parlons pas du monde des affaires, du monde politique… où le phénomène semble avoir aussi élu domicile. La réussite ne dépend pas du travail, des capacités managériales, de la bonne gestion ou de la bonne gouvernance, mais - on y croit fermement - de certaines forces qu’on croit acquérir par le recours à des pratiques qu’on n’appellerait pas autrement que magiques…

Je vous prie d’avoir devant vos yeux cette situation peu édifiante, qui n’est pas fictive mais qui traduit un désarroi moral, un misère spirituelle de notre société, pour comprendre, en contraste, l’esprit de sagesse et le comportement des hommes sages que je voudrais relever en témoignant du Père Matota qui nous a convoqués ici ce soir pour que nous lui rendions notre dernier hommage

Sans jouer sur les mots, je peux témoigner qu’en homme sage, le Père Matota a utilisé ou s’est efforcé d’utiliser son intelligence à faire du bien, à ne faire que du bien. On retient de lui, comme première manifestation de sa sagesse, ses qualités de prédicateur de retraites. Je viens de lire à l’internet un message d’annonce de son décès et la réaction de celui qui nous l’envoie, témoignant qu’il l’a vu prêcher une retraite à Kasangulu : « De sa bouche, dit-il, ne sortait que des paroles édifiantes, pleines de sagesse, de connaisseur de la culture ancestrale. C’est un baobab qui est tombé, une bibliothèque qui se ferme ».

Pour nous qui avons connu le Père Matota, un tel témoignage n’est qu’un rappel de ce que nous avons nous-mêmes vécu, vu et entendu. Nous sommes vers les années 58-60, quand, petits séminaristes, en promenade à la paroisse de Lemfu, nous assistons, émerveillés, au spectacle que nous offre le Père Matota. Il est sous le manguier à côté de l’Eglise paroissiale Saint Henri avec un groupe de Batata et Bamama, en train de palabrer, de dialoguer avec eux au rythme de ngoma. « Ce n’est pas de la palabre, nous dit-on, c’est une retraite que le Père Matota est en train de prêcher ». Nous n’avons pas bougé pour continuer ailleurs notre promenade hebdomadaire de jeudi, captivés que nous étions par cette nouvelle méthode de l’enseignement du Père.

Prédicateur officiel du Diocèse de Kisantu, le Père Matota était sollicité par d’autres diocèses pour y aller prêcher la parole de Dieu aux hommes et femmes de bonne volonté. Et on sait aujourd’hui qu’à ces retraites participaient non seulement des chrétiens catholiques, mais les fidèles d’autres confessions religieuses, voire ceux qu’on appelait les païens.

Ainsi bien avant les spéculations de théologiens sur ce qu’on a appelé l’inculturation, le Père Matota avait introduit dans l’Eglise catholique du Congo belge une méthode d’évangélisation en profondeur. C’est un homme comme lui, un sage comme lui, nourri de la Parole de Dieu et imbu de la culture ancestrale, qui pouvait réaliser, à cette époque, une synthèse harmonieuse entre « évangile et culture », selon la double dimension que comprend l’inculturation, à savoir d’une part, « une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme » et d’autre part, l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures ». Si aujourd’hui, le tam-tam et les autres instruments africains peuvent être joués dans nos églises, à côté ou en remplacement de l’harmonium ou des orgues, je crois qu’il ne faut pas aller chercher trop loin la paternité de cette nouveauté, sinon dans tout le pays, du moins dans notre diocèse. Bien certainement, en cette matière de rénovation, nous devons à la sagesse ou à l’intelligence sapientielle du Père Matota la formule, si je peux ainsi m’exprimer, du culte marial, tel qu’il se pratique dans le diocèse. Quand je vous entends chanter : « Mama Marie Mama… », moi je pense à « E Mam’e, yala kayala …» que Matota exécutait avec une esquisse de danse royale. Il aurait fallu ou il faudrait peut-être aller plus loin et penser éventuellement à créer un centre de mariologie à côté de ce Sanctuaire pour approfondir la figure de cette Mère de Dieu que l’Eglise catholique vénère de façon très particulière, qui paraît aux yeux de certains quelque peu exagérée, sinon trop exaltée.

Pour rester encore dans le cadre de ce que la sagesse de Matota lui a permis de faire de bien dans son Eglise, j’évoquerai volontiers son ministère délicat d’aumônier des Sœurs de Sainte Marie de Kisantu. C’était un Père (Tata, comme l’appellent affectueusement ses filles), un guide, un conseiller spirituel bien avisé, prudent. Il leur a fallu un homme comme lui à cette époque, pour aider la Congrégation à prendre ses assises intellectuelles et spirituelles. Il en est sorti tête haute, pas comme cet Autre qui expliquait son nom en se vantant d’être un coq qui ne laisse aucune poule intacte.

Enfin, dernier exemple de l’éclat de sa sagesse, je peux dire, sans crainte d’être contredit, que gardant une distance assez juste vis-à-vis de la politique politicienne, sans parti pris, le sage Matota a été peut-être l’homme le plus consulté par sinon par des politiciens congolais, du moins par des politiciens nekongo, toutes tendances confondues. Il a incarné l’Eglise au milieu du village. Ils allaient nombreux chez lui ou il allait lui-même chez eux peut-être, je devine, pour leur apporter ses conseils, ses avis, pour les aider à dénouer certaines crises, à assouplir des positions extrémistes qui ne servent pas l’intérêt du peuple, certainement à comprendre leur mission…. Un message qui passe à l’internet dit : « Il voulait tellement l’unité de nekongo avant de quitter cette terre ». Mais la politique semble avoir ses raisons que la Sagesse ne connaît pas, car au point où nous en sommes, je n’ai pas l’impression que le Père Matota ait jamais été écouté, encore moins suivi.

Qu’à cela ne tienne ! si Matota a été ce que je viens de dire très approximativement, c’est qu’il a fait fructifier les cinq talents que Dieu lui a confiés, en acceptant pleinement sa vocation d’homme de Dieu au service de ses frères et sœurs dans l’Eglise et dans la société. A ce qu’il semble, sa foi chrétienne n’a jamais été en conflit avec la culture ancestrale. Au contraire, il semble avoir perçu dans le message évangélique un facteur de promotion des valeurs humaines, culturelles, authentiques. Fidèle à la tradition, il était ouvert à la modernité qu’il accueillait pourtant avec discernement, comme un sage peut le faire.

Au risque de déborder, je me permets ici de vous faire part de cette réaction (qui m’a été rapportée) du Père Matota, quand il avait appris qu’on introduirait à l’école le cours de l’éducation à la vie. « Est-ce que pour nous concevoir et nous engendrer nos parents avaient besoin d’une telle éducation? », objecta-t-il. Aux yeux de ses jeunes confrères, cette question paraissait un non sens, traduisant une mentalité vieillotte d’un retardataire. Mais n’avait-il pas raison de la poser devant certaines idéologies – occidentales, libérales ou libertaires - qui sous-tendaient les programmes de limitations de naissances, sans tenir compte de nos habitudes culturelles en la matière? Avec le recul du temps, on peut y voir une invitation à une étude approfondie de la coutume ancestrale dans ce domaine. C’est encore ce problème de l’inculturation qu’on n’a pas assez pris au sérieux dans l’acceptation béate de ce que la civilisation occidentale nous apporte.

Je termine mes réflexions sur cette ouverture d’esprit dont, malgré son respect profond de la tradition, le Père Matota a fait montre, en vous relatant un petit débat que j’ai eu avec lui au Grand Séminaire de Mayidi entre 1980 et 1982. Il y était venu animer la retraite annuelle de paroissiens. Un bon soir, on se trouve au Parloir, à quatre, lui, les abbés recteur Ignace Makela, économe Charles Nluba et moi. « Nous avons autant de Batata et autant de Bamama », nous rapporte le Père, visiblement peu satisfait du nombre de retraitants. Et moi, tout en sachant que depuis longtemps les retraites étaient mixtes (cela a commencé avec lui), je lui pose cette question qui étonne mes compagnons (et qui va vous étonner) : « Dites-moi, Père, vous qui êtes psychologue et grand éducateur du peuple, lequel des deux, l’homme ou la femme, a plus besoin de l’autre ? Matota me répond : il n’ y a pas de plus : l’homme a autant besoin de la femme comme la femme a autant besoin de l’homme ». Je réagis : « Non Père, il doit y avoir une différence et c’est peut-être la femme qui a plus besoin de l’homme que l’inverse! ». « Pas du tout, soutient le Père, il n’y a aucune différence, il n’y a ni de plus ni de moins ». Je rétorque : « Alors, saviez-vous cela quand, à Lemfu, vous sépariez à coup de gifles les jeunes gens et filles que vous rencontriez sur votre route causant ensemble lors de leur promenade? ». Et le Père de riposter vivement, presque en me rabrouant gentiment: katuka nge diaka, mambu mankulu mana ukwa vutukila kwaku!

Et on a bien rigolé ce soir-là. Mais ce n’est pas pour rigoler que je vous raconte cela ce soir.

C’est plutôt pour dire deux choses en conclusion de mon témoignage :

- d’abord, que le Père Matota ne s’est jamais targué d’être parfait. Bien au contraire, il se reconnaissait faillible, voire pécheur, et il était capable de se mettre à genoux devant n’importe qui il aurait senti avoir offensé pour lui demander pardon;

- ensuite, par conséquent, que la Sagesse, au sens où je l’attribue au Père Matota à partir du texte du livre de la Sagesse, n’est pas une habitude figée, statique. On l’acquiert, pas forcément avec l’âge, car aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre d’années (et il y a des vieillards qui vieillissent dans le mal). Le livre de la Sagesse nous dit même que venant de Dieu, elle s’obtient par la prière et que celui qui la possède peut se convaincre d’avoir une source sûre des vertus qui le font croître dans l’amour de Dieu et du prochain. Or le texte de l’évangile de Matthieu sur le jugement dernier, vient de nous rappeler l’enseignement que nous connaissons, à savoir que c’est par l’amour que Dieu nous jugera au dernier jour.

Prions donc : « Notre Père et notre Roi, toi qui nous jugeras sur l’amour que nous aurons témoigné à nos frères et sœurs, donne au Père Matota la récompense que tu as promise à tes serviteurs et à nous qui voyons en lui un modèle à suivre, la grâce de te reconnaître en tous ceux et celles qui sont dans le besoin, afin que nous puissions être placés avec lui parmi tes élus et jouir de ta présence dans les siècles ».

Résumé en kikongo

Bampangi,

Bake ye bengi bazeye tata Matota yo tuta dila gogo. Ntonda tumwesa ku bampangi bani ba ndonga Yezuiti, tata Provincial ye bilandi biani, batamboluele nde nitu ani ivutuka ku Kisantu kasadidi kisalu kiani kiaku ki kinganga ki Nzambi, tundidila kuku beto batutambula mambote ma kisalu kiani.

Mu fi kimbangi fi bandombele yi lutela mo kinsunsa kioko, mbakidi mbandu zi bisalu bi kasadidi Tata Matota : ndonga zi tugambuku, ndongisi u mbundu u ba masedi bas santa Maria ba Kisantu ye bankaka diaka. Ndikisini nde ngangu zâkulu zi kangana Mfumu Nzambi, tata Matota sidi zau mu kusadila mambote ku bakulu ba bamfinamene. Ye bantu babengi-bengi, bafinamene tata Matota, tuka bantu ba Dibundu (ka dikolika kaka ko, kansi kansi mabundu mankaka mpi dont les kimbanguistes), ba minsambi yekuna bantu ba luyalu lu nsi ye bankaka diaka. Kikuma, mu diambu tata Matota ukala muntu ulungalala, nkwa nduka (sage), nlongisi ukatula katula, kazolele luvunu ko, makieleka kaka.

Malongi ma Nzambi ba batunatina ba missionnaires, nsangu zi mbote zi Mfumu Yezu, kamwena mo ko nde manzenza, kansi nde malendi nata ntomosono ku mambu ma ba tusisila bakulu beto. I diau, mu malongi mani ye munsalulu zani, utesesenge ma mambote ma kinzambi ye ma kimuntu ma melendele nata kumosi bantu kuntwala, ku ntemuka.

Disongidila mu lufwa lu tata Matota, muntu nene tuvidisi. Kansi mu lukwikilu lueto lu bukristu ye lu lutusisila bakulu, tuzeye na kafuidi ko, luzingu kasobele. Idiau tunlomba ka tukadila nzozi eto ku meso ma Mfumu, yani yu tusididi kivuvu nde untambuele gana kati ki bakasola mu kukabana ye yani Luzingu lukonda nsuka. Amen.

Abbé Hippolyte Ngimbi Nseka

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